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Thierry CARLIER, Directeur de l’ENOES interviewé par Cegid Formation

Numérique : “Il est nécessaire de faire évoluer les programmes pédagogiques du cursus de l’expertise-comptable”

Davantage de numérique pour former l’expert-comptable…

interview t.carlier cegid

Pas assez de numérique ! Certes, le programme pédagogique des étudiants experts-comptables est déjà très copieux… mais la parfaite compréhension des outils et des process numériques est un enjeu majeur pour les entreprises employeuses, comme le démontre Thierry Carlier, directeur de l’ENOES, l’Ecole de l’Expertise-Comptable et de l’Audit à Paris 8ème.

QUELS RETOURS VOUS FONT LES ENTREPRISES CONCERNANT L’APTITUDE DES ETUDIANTS OU DES JEUNES RECRUES A MANIPULER DES PROGICIELS ?

Les entreprises ont un double discours, qui semble paradoxal. D’un côté, elles disent « ne vous inquiétez pas, nous allons les former sur nos outils », et de l’autre, elles regrettent un certain manque de maîtrise et d’analyse des informations qui sortent de ces outils. Or, dans les métiers du chiffre, nous faisons face à une dématérialisation de plus en plus grande des processus. Les outils font un énorme travail de classement et d’analyse des informations : la tenue de compte est presque totalement dématérialisée aujourd’hui. Mais il serait bon que les étudiants puissent développer leurs capacités à traiter et à restituer les données – sous une forme parlante et pertinente.

Les entreprises expriment donc leur besoin d’une pédagogie qui développerait l’agilité des étudiants dans le traitement des masses de données qu’elles produisent. Pour répondre à ce besoin, la maîtrise des progiciels, et notamment des PGI-ERP, est importante puisqu’ils matérialisent les flux et les process de l’entreprise.

COMMENT METTEZ-VOUS LES PROGICIELS A DISPOSITION DE VOS ETUDIANTS ?

Nous avons souhaité mettre à disposition de nos élèves des progiciels référents, en particulier Quadra Expert, solution Cegid pour les cabinets comptables. Nous organisons des séances de formation avec des professeurs qui sont également de jeunes experts-comptables, dans le cadre de la préparation aux diplômes d’Etat DCG et DSCG. Nos étudiants peuvent ainsi s’approprier ces outils, accessibles en mode SaaS, comme ils le feraient en entreprise. De façon générale, l’utilisation de progiciels complexes et puissants prépare à la réalité professionnelle.

Cependant, ces progiciels n’étant pas encore imposés dans le référentiel pédagogique de ces for-mations, leur apprentissage est laissé à l’initiative des étudiants. Nous tenons à leur offrir cette possibilité de se sensibiliser à ces outils professionnels.

QUELS RETOURS AVEZ-VOUS, COTE ETUDIANTS ?

Nos étudiants font un apprentissage difficile et approfondi des techniques comptables, juridiques, et financières. Ils sont très engagés, et ont assez peu d’états d’âme : on ne détecte chez eux ni attirance ni aversion particulières envers les outils logiciels. Mais leurs programmes étant chargés, ils ne s’inscrivent finalement qu’assez rarement aux formations optionnelles sur progiciel, ce qui est très regrettable. Heureusement, ceux qui suivent ces modules en sont très satisfaits.

En somme, les référentiels pédagogiques officiels pèsent lourdement sur les élèves des professions comptables – ce qui n’est pas le cas dans les écoles de commerce, où il existe une culture très différente, plus orientée vers la découverte, l’expérimentation, et le partage d’informations.

Pourtant, encore une fois, les entreprises attendent de la curiosité, de l’initiative, un sens aigu de la médiatisation visuelle et de la communication orale de leurs données comptables. Une certaine intelligence relationnelle est capitale, comme le résume l’expression de notre Président, Hubert Tubiana: « les chiffres, c’est bien, mais les mettre en scène, c’est mieux ! ».

C’est pourquoi, à l’Enoes, nous essayons d’apporter de telles compétences à nos étudiants, même si elles se situent en dehors du strict référentiel pédagogique. Cela leur donne une plus grande valeur sur le marché, et ils n’ont aucune difficulté à trouver ou à changer d’emploi – l’emploi faisant explicitement partie de nos objectifs. Nous avons le sentiment que nous aidons les étudiants à s’inscrire dans cette transformation relationnelle, qui accompagne la transformation numérique des entreprises.

LES PROGICIELS MERITERAIENT-ILS D’ENTRER AU PROGRAMME DES DIPLOMES DCG ET DSCG ?

Nous en sommes persuadés. Les PGI sont déjà au programme de certaines formations, comme le BTS Comptabilité. De façon générale, il nous semble que l’utilisation, par les étudiants, de logiciels métiers aurait de grands avantages : d’abord pour eux, mais aussi pour les entreprises qui les emploieraient. Actuellement, les programmes officiels ne prévoient que quelques cours théoriques. Mais la pratique est laissée de côté, alors qu’elle est essentielle et supposerait de vrais investissements pédagogiques et une évaluation continue. Il nous paraît donc important de soutenir l’idée que ces progiciels fassent leur entrée officielle dans les futurs programmes, notamment les « progiciels cabinet », spécifiques au métier de l’expertise comptable.

L’objectif serait d’augmenter la part et l’importance des contenus numériques. Les cursus pourraient ainsi se rapprocher, encore un peu plus, des attentes des professionnels. Une meilleure connaissance des progiciels structurants apparaît comme une nécessité. Une réflexion commune est donc engagée pour mieux préparer les étudiants aux défis de la transformation numérique des entreprises, à laquelle ils sont d’importants contributeurs.

EN QUOI LE THEME DE L’UBERISATION DES METIERS COMPTABLES, D’UNE PART, ET L’ARRIVEE PROCHAINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, D’AUTRE PART, SUSCITENT-ILS DES INQUIETUDES ?

Il faut d’abord souligner que la confiance est au cœur de nos métiers – ce qui explique qu’ils soient réglementés. Beaucoup de professions qui subissent, ou subiront, une ubérisation ne se situent pas à un tel niveau d’exigence. Mais effectivement, si les professionnels du chiffre en arrivaient à abaisser la qualité de la relation avec leurs clients, là, le risque serait que les logiciels fassent mieux et moins cher…

Le risque d’ubérisation sera faible tant que ces professionnels – véritables tiers de confiance – continueront de se battre afin de maintenir une qualité de prestation élevée et reconnue par leurs clients, ce qui est déjà largement le cas.

Les métiers de l’expertise-comptable ont connu de nombreuses évolutions récentes : l’ouverture du capital des cabinets, et le regroupement avec les cabinets d’avocats étant parmi les plus récents et importants. Quant à l’automatisation des tâches répétitives, telles que la tenue de compte, elle est déjà presque totalement effective. D’autres évolutions vont apparaître et exigeront de grandes qualités d’adaptation, notamment pour être beaucoup plus offensif sur le marché du conseil.

Je souscris à l’idée que « Le numérique est une chance et non un danger», telle qu’elle est plaidée par Philippe Arraou, Président du Conseil Supérieur de l’Ordre des experts-comptables, dans son livre L’expert-comptable et l’économie numérique. Cet ouvrage résume parfaitement les évolutions à venir et l’état d’esprit à adopter.

En synthèse, ces professions ont déjà connu une succession de révolutions et se sont toujours bien adaptées. Et en admettant qu’existe une production de données pertinentes, issues de l’Intelligence Artificielle, elle devra nécessairement être validée puis enrichie par des experts de confiance. Ainsi l’humain va continuer de faire toute la différence !

Interview réalisée par Christophe Castro